4 - LA SAVOIE - DOCUMENTS - HISTOIRE - Documents de Savoie - - 7 - De nouveaux secours arrivent de Genève, de Taninges, de Mélan, de la part des RR. Pères Jésuites. On en fit une première distribution à Saint Martin. L'excellent curé du lieu, Mr Baud, qui dès le premier soir de l'incendie avait ouvert sa cure aux malheureux, en fut le directeur. On ne pouvait choisir un homme plus dévoué à l'infortune. Il a épuisé, pour la secourir, ses provisions et toutes ses ressources. Combien elle fut attendrissante cette première distribution des offrandes de la pitié ! Près de deux mille personnes, riches et pauvres, vinrent tendre la main pour recevoir le pain de l'aumône. Les dames en toilette de fête étaient confondues avec les femmes mendiantes, les magistrats du lieu y étaient confondus avec les pauvres artisans. Image fidèle des révolutions des empires qui mettent le riche à l'égal du pauvre et quelquefois le pauvre à la place du riche ! Semblable déplacement n'a pas eu lieu à Sallanches ; mais il s'y est passé quelque chose qui rappelle ces grands bouleversements sociaux, et qui est résumé dans les paroles d'un nécessiteux que j'ai pensé ne pas devoir passer sous silence. A l'une des distributions de vivres, cet homme ne répondit pas à l'appel, on l'appela une fois, deux fois, trois fois, même silence de sa part ; enfin comme on passait à un autre nom, il éleva la voix et dit : " Je n'ai pas répondu parce qu'on ne m'a pas donné le titre qui m'appartient. J'entends qu'on m'appelle Dufeu tout court, et non pas Monsieur Dufeu, car ici il n'y a pas plus de Monsieur que moi. Autrefois je mendiais mon pain, aujourd'hui on me le présente. Autrefois je n'avais que moi pour penser à mon entretien, aujourd'hui des milliers de personnes s'en occupent ". Cette facétie, qui était de nature à exciter le rire, ne provoqua que des soupirs et des larmes. Lui, il avait gagné dans un évènement où tous ses concitoyens avaient perdu; mais il était le seul gagnant... Souvent il est arrivé, dans un ordre plus général, qu'un pays a été mis à feu et à sang pour le profit d'un petit nombre d'individus... Pendant que notre mendiant se félicitait de sa position, combien d'autres souffraient horriblement ! Tous souffraient et surtout les blessés. De l'huile de noix était le seul remède qu'on eût encore pu se procurer contre la brûlure. Avec cela les plaies s'élargissaient, les chairs se corrompaient, les vers s'y introduisaient. Mon Dieu ! Qu'ils étaient dignes de compassion ! Des coeurs généreux avaient prévu leurs besoins : les médecins des environs, de Cluses, de Bonneville viennent leur administrer des soins et des remèdes. Oh ! La belle oeuvre, le Seigneur ne la laissera pas sans récompense. Ces secours admirables de toute espèce ranimèrent puissamment l'espérance dans les âmes. Les bons sallanchois en sont presque aussi frappés qu'ils l'ont été de la catastrophe dont ils sont la victime. Mais ils ne peuvent comprendre leur malheur ni la miséricorde qui vient à eux. Tant l'un que l'autre est pour eux de l'extraordinaire qui les anéantit, en sens divers, devant le Dieu qui tient entre ses mains la vie et la mort. Nous consacrerons le chapitre suivant aux merveilles qu'a produites pour eux la charité chrétienne, après avoir rapporté la cérémonie qui termina le troisième jour et que nous avons pris pour terme de ce que nous avions à consigner sur l'anéantissement de Sallanches. Nous en sommes au mercredi, qui fut marqué par la sépulture de vingt-cinq cadavres déjà retirés de dessous les décombres. " Les uns ", dit Mr Chenal, " rabougris par le feu, ressemblaient en quelque sorte à des tisons charbonnés. Les corps des personnes ayant atteint toute leur croissance ont été réduits à la dimension d'un corps d'un enfant de six ans. Parfois on n'a retrouvé qu'une moitié de cadavre réduit en cendres, ne laissant aucune trace d'organisation. Parmi les personnes asphyxiées, quelques-unes semblables aux momies du Grand Saint Bernard, avaient sur leur physionomie l'apparence d'un rire convulsif ". L'aspect de ces corps ou de ces débris de corps humains repoussait d'horreur. Malgré les liens du sang et de l'amitié, personne n'osait plus s'approcher de ce spectacle hideux et dégoûtant. Les formalités légales ayant été remplies, la religion s'empara des membres qu'elle avait consacrés. On creusa de grandes fosses au cimetière ; on y transféra les cadavres ; le prêtre pria sur eux, les bénit et les recouvrit de terre, en proclamant qu'un jour ils ressusciteraient glorieux.
(début du texte)
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