4 - LA SAVOIE - DOCUMENTS - HISTOIRE - Documents de Savoie - - 10 - Mercredi 29 mars Aujourd'hui à midi est parti le régiment de Savoie qui nous était arrivé d'Annecy. Chambéry est entièrement dégarni de troupes. La ville est dans une grande agitation. Tout le monde est inquiet. On a annoncé que les français arrivent ; mais c'est un canard ; cependant Nadin, Chevalley et quelques autres vont à Chapareillan. On répand le bruit qu'on a fait partir le trésor. Cette nouvelle excite l'irritation générale. Vuartenex sur la place octogone pérore avec violence. Je n'aurais jamais cru qu'il fut si emporté. Il parle de constituer un gouvernement provisoire. Il ne veut pas que nous soyons vendus à la France. Il prétend que nous avons une nationalité que nous devons conserver. Le parti Savoyard prend des forces. Les nobles le préfèreraient à la réunion avec la France. A onze heures les postes ont été relevés par la garde nationale, sauf celui du château qui est relevé par les Pompiers. Armand chapelier du faubourg est le premier officier qui monte la garde, et Folliet la première sentinelle. Ce soir je suis porté de patrouille. On parle beaucoup du nombre d'ouvriers de Lyon qui doivent arriver ici pour proclamer la République et pour faire on ne sait quoi. Cette nouvelle est la plus alarmante. On en porte d'abord le nombre à 1800 et ensuite de 5 à 600. On dit qu'ils sont conduits par six chefs, en tête desquels figure Peyssand le fils de Mme Picollet. On cite les autres noms ; mais je ne les ai pas retenus. Les officiers de la garde nationale et les pompiers reçoivent l'ordre de se réunir en un lieu déterminé au premier signe d'alarme. Cependant on peut voir qu'il n'y aura rien. Il y a inquiétude ; mais pas de bruit. J'ai remarqué au reste que les brouillons ont peur. On n'aperçoit pas Parent. J'ai fait la patrouille le soir sous le caporal Tredecini, jeune homme bien élevé. J'étais avec Portier. Nous avions Carcey dans notre peloton. Je le crois un peu timbré. Nous n'avons rien vu. Tout était dans un calme parfait. Il y a une grande susceptibilité entre les compagnies de la garde. Comme nous étions au complet dans notre section, nous sommes sortis les premiers. Il y a eu récrimination de la part des autres en sorte que nous avons été obligés lors de la seconde patrouille de rester au poste jusqu'à la fin, avant de rentrer chez nous. Jeudi 30 mars On apprend aujourd'hui qu'une masse d'ouvriers renvoyés de Lyon partent pour se rendre ici et proclamer la République. On commence à être inquiet. On en porte le nombre, les uns à deux mille, les autres à deux mille cinq cents. Je ne les crois pas aussi nombreux, parce que les choses se grossissent toujours en passant d'une bouche à l'autre. Duclos est parti pour Lyon. Ce pourrait bien être pour cette même affaire. C'est toujours bien imprudent de sa part. Vendredi 31 mars L'affaire des ouvriers occupe la ville entière. On ne fait plus rien. Les rues sont pleines de groupes qui discutent. La ville a envoyé Goddard et un autre valet de ville pour voir positivement ce qu'il en était. Un conseiller de l'Intendance nommé Salina part pour Lyon pour prendre aussi des renseignements. Dans l'après-midi j'ai rencontré un ouvrier qui me rassure en me disant qu'il avait vu les ouvriers dont nous étions menacés, qu'ils étaient près de deux mille ; mais qu'un très petit nombre seulement avait des armes, et qu'ils ne voulaient que rentrer dans leur patrie. Le soir vers les neuf heures, j'arrivai de chez Louis Guillaud, je vois déboucher sous les portiques une foule immense de personnes chantant avec un enthousiasme pour ainsi dire violent. Je ne comprends pas de suite ce que c'était. Je crois même que c'était la proclamation d'un gouvernement provisoire et de l'indépendance de la Savoie. Je savais cette idée caressée par une partie de l'élite de notre population. Mais je me trompais grandement, c'était la population presque entière qui se portait au château pour protester de son dévouement à la Monarchie en chantant la Savoisienne. Mr De Quincy syndic était en tête. Je me joignis de suite aux groupes et je fus au château. On criait, on chantait à gorges déployées. J'étais moi-même un peu fou. On avait tellement été ballottés par les autorités qu'il y avait une jouissance à leur montrer que l'on avait plus de cur qu'elles. Nous sommes restés quelques minutes avant que le Gouverneur se montra. La cour du château s'emplissait toujours. Enfin il parut et dans un moment d'enthousiasme il jura de mourir, s'il le fallait, au milieu de nous. La foule s'est bientôt dissipée, je suis allé au café Pache, où j'ai trouvé nos républicains déblatérant contre la démonstration qui venait de se faire, en disant que c'était de la dernière imprudence, que c'était mettre la ville en danger, que l'on ne faisait qu'irriter sans but les gens qui arrivaient, qu'un grand nombre était déjà arrivé et étaient présents. Ces propos étaient hautement tenus par Molin, Cadet, Duclos, et Pallatin. Il faut, pour comprendre toute cette manigance, savoir que les meneurs avaient résolu d'agir par intimidation. A cet effet ils ont fait circuler les bruits les plus absurdes sur la force et le courage des ouvriers arrivants, disant qu'ils étaient secondés par une compagnie de la société des Voraces de Lyon. D'un autre côté l'hésitation du gouvernement et le langage des journaux piémontais, notamment de la Concorde, faisaient réellement soupçonner que la Savoie était cédée à la France par un traité secret, et que l'expédition des ouvriers n'était qu'une mesure concertée par les gouvernements pour amener la population à demander elle-même la réunion à la France. Tout cela était habilement exploité par les meneurs, qui prêtaient de plus à Mr Arago commissaire du gouvernement français à Lyon un langage même explicite, que je crois n'avoir pu être tenu.
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