4 - LA SAVOIE - DOCUMENTS - HISTOIRE - Documents de Savoie - - 7 - Lundi 20 mars La loi électorale est annoncée pour ce soir. On la connaît déjà en partie. Les candidats commencent à se resserrer. Vers les cinq heures étant au café Pache avec Decoux, Granthorau et Ract, Jacquemond s'est approché de nous et est venu se mêler à notre conversation. Nous parlions députation et nous critiquions les dispositions de la Charte qui n'accordait pas une indemnité aux députés. Jacquemond se serait bien gardé de la défendre ; mais il nous insinua que cela ne faisait rien, que l'honneur de représenter son pays engagerait beaucoup de monde, que l'on trouverait en Savoie plus de cent personnes qui ne demanderaient rien. Sur ce je lui répondis sèchement que sur ces cent personnes, il y en a quelques-uns que l'on ne veut pas. L'apostrophe était directe, cependant il l'a supportée sans grave altération sur sa figure. Comme l'habitude de l'intrigue rend un homme abject au point de le rendre insensible à toutes les humiliations. A dix heures du soir on a reçu la nouvelle par les journaux de Turin de la révolution de Vienne. On a été très contents, mais on est depuis quelque temps si habitués aux commotions qu'elles ne font qu'une impression passagère. Aussitôt après le journal sont arrivés de deux côtés différents Jacquemond et Perret, le premier aristocrate républicain et l'autre républicain aristocrate. Glorieux tous les deux, et candidats à la députation. Il est vraiment curieux d'examiner de sang froid ces prévenances et les tours de force et d'adresse que certaines personnes surtout ces deux individus essayaient pour captiver les suffrages. Ces rires forcés malheureusement toujours les mêmes et toujours blancs. Perret mettant ses lunettes pour comprendre l'italien. Jacquemond applaudissant à la révolution de Vienne et se glissant parmi nous. Ce soir est arrivée en même temps dans la gazette piémontaise la loi électorale. On en est satisfait sauf quant au nombre des collèges. On y voit le précepte : diviser pour régner. Je suis allé au grand café avec Rey et Dénariez. Nous y avons trouvé Berthier lisant au milieu d'un groupe, et Jacquemond écoutant le cou tendu et la bouche souriante. Berthier lisait assez couramment en traduisant en français. Quelqu'un en ayant fait l'observation, Jacquemond a de suite dit : quand vous serez fatigué Mr Berthier je prendrai la suite. Nous sommes sortis et Jacquemond est aussi sorti avec Berthier et Bocquin le procureur, ils ont fait de nombreux tours sous les portiques ensemble, et ils y seraient encore si je n'avais pas appelé Berthier. Il était onze heure et quart. Berthier m'a dit en m'accompagnant que Jacquemond lui avait enfin accouché de son projet de se porter candidat à Aix, en lui faisant de grandes lamentations sur l'obligation où il avait été de servir pendant vingt huit ans sous un pouvoir absolu ; que cependant ses intentions étaient pures, et autres flagorneries de ce genre. J'avais raison quand je disais que cet individu était mon cauchemar. On dit qu'il a des cocardes de tous les régimes possibles de gouvernement, et même la rouge et le drapeau noir. Mardi 21 mars On s'occupe beaucoup de l'affaire de Vienne et de ses suites relativement à la Lombardie. On dit que les Lombards voudront s'affranchir, qu'ils seront aidés par notre armée. Les régiments en garnison à Chambéry ont reçu à onze heures l'ordre de se tenir prêts pour partir d'un instant à l'autre. A cinq heures nous sommes allés dîner chez Droguet sur la proposition de Mr Molin, nous étions neufs Molin, Balmain, Bellemin, Moret, Rey J.J, Bouffier, Saluces. On a beaucoup parlé République. Rey et moi avons soutenu la liberté avant tout et pour tous. Nous sommes allés jusqu'à nous faire les champions des Jésuites. On a beaucoup flatté Molin pour la députation de la Maurienne. Balmain veut l'y pousser. Ce ne serait pas mon avis. J'aimerais mieux Balmain. On a ensuite chanté. Balmain voulait à toutes forces des chants républicains. Personne n'en savait. Bellemin est un républicain d'autrefois, qui croit que la république c'est tout. La soirée a été au reste très gaie. Nous sommes ensuite allés au café de l'Union nationale pour attendre le courrier de Turin, qui devait apporter des nouvelles de Vienne et Milan ; mais le courrier de cette dernière ville n'était pas arrivé à Turin, en sorte que l'on a eu que des nouvelles éparses et des conjectures. On a seulement appris que les troupes piémontaises marchaient sur la frontière avec l'intention il parait de la franchir. Les piémontais que nous avons ici sont dans l'exaltation. Je me suis retiré de compagnie avec Ract. Il m'a dit que Dupasquier donnerait sa démission de Substitut avocat général pour être député. Il m'a dit aussi que Lacoste voulait le porter candidat à Montmeillan. J'ai été surpris de ne pas voir Jacquemond. Ract m'a encore raconté qu'un jour de la semaine passée Jacquemond ayant rencontré des messieurs vulgaires sur la route de Lyon les avait abordés et les avait emmenés à sa campagne, et que là il leur avait offert du vin blanc. Mais en trinquant il avait amené la conversation sur les élections et leur avait dit qu'étant depuis nombre d'années président de la chambre de commerce et ayant beaucoup étudié et voyagé, il était plus que tout autre à même de connaître les intérêts et les besoins du pays, qu'il avait dix mille francs de rente ce qui le rendait indépendant, et qu'ainsi il était dans une position des plus propres à la députation. Il leur a demandé leurs voix, ce qui les a déconcerté et leur a fait tomber leurs verres de leurs mains. Mercredi 22 mars La loi électorale, la loi sur la garde nationale et la charte ont été officiellement publiées aujourd'hui. Il parait que les membres des cours et tribunaux en seront inamovibles qu'après trois ans d'exercice dès la mise en vigueur de la charte. Ainsi ils ne peuvent pas être députés. On dit que Jacquemont a dit qu'il donnerait sa démission de sénateur. Ce serait pour entrer au ministère. On dit que Dupasquier se présentera comme candidat à Chambéry, mais qu'il hésite à donner sa démission. Ce serait encore un bon député. Je le crois cependant au fond aristocrate ; mais qui ne l'est pas ! On dit que le parti républicain veut porter Carcey et Parent fils et qu'ils auront des voix. Faites-vous donc républicains. Cornier est dans une transe incroyable. Sa figure exprime une anxiété extraordinaire. Demain il y aura club chez lui pour diriger les élections. Désespérerait-il déjà d'être député. En le voyant je me suis rappelé les tremblements qui me prenaient toujours au moment des examens. Ract fait le modeste. Il est bon garçon. Sa future députation le flatte et lui donne l'air d'un chat que l'on caresse. François se donne beaucoup de mouvement. Il présente Ginet à Aix ; mais je crois qu'il pense que Ginet n'acceptera pas, et en désespoir de cause il sera toujours là lui-même. Chacun a sa manière d'arriver au but. Berthier est plus fin encore, il se prépare déjà pour les élections de la seconde législature. Il est d'une hardiesse heureuse. Il pourra réussir si jamais on vient à avoir foi en lui. Il parait que la noblesse ne portera pas un candidat de sa caste, car hier soir au grand café Martinel on m'en a parlé à cet égard et m'a dit que l'on devrait s'entendre pour porter un homme sûr et ami de l'ordre. Je crois que les nobles ont peur de la candidature de Carcey. Ils ont peur de tout quand ils ont peur. Delachavanne fait la cour à Dupuis le Boiteux. On a attendu avec anxiété les nouvelles d'Italie ; mais le courrier n'est arrivé qu'à quatre heures après minuit.
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