4 - LA SAVOIE - DOCUMENTS - HISTOIRE - Documents de Savoie - - 4 - Samedi 11 mars Il circule que les ouvriers mécontents veulent brûler les drapeaux et mettre un crêpe à la statue de la place de Lans, et cela dans la journée de demain. Je doute qu'ils soient seuls les auteurs de ce projet. Ract qui m'en a parlé me parait un peu grand seigneur carliste à l'égard du peuple. Tout pour le peuple ; mais tous sans le peuple. Si cette maxime était pratiquée de bonne foi et sans restriction, quoique moins libérale, elle produirait je crois plus d'effet que la règle actuelle, tout pour et par le peuple. La charte est toujours l'objet des critiques. La question des fonctionnaires publics est celle qui choque le plus. En effet ce sont les seuls qui pourront commodément aller s'asseoir sur les bancs de la chambre, continuant à percevoir leur traitement sans remplir les fonctions de leur charge. Mauvais fonctionnaires, mauvais députés. Moret dont j'estime beaucoup la justesse d'esprit, et qui est calme se récriait ce soir beaucoup à cet égard. Il pourrait se faire que la loi électorale apporta quelques restrictions. Moret m'a fait en outre beaucoup rire à propos des Evêques de la chambre des Pairs en nous rappelant la chanson de Béranger, que le banc des Ministres était le banc des Marguilliers. On m'a donné la note de notre ministère qui vient de se former : Mr Balbo aux affaires étrangères Ces nominations ne sont point encore officielles. On vient d'afficher la loi sur l'organisation communale. Cette loi si attendue jadis, personne n'y a seulement fait attention. La lenteur de Fabius a sauvé Rome. La lenteur de notre Gouvernement a perdu le trône. Dimanche 12 mars La journée a été paisible. Mr Desgeorges de Lyon prédicateur du carême a, dit-on, dit quelques mots faisant allusion aux évènements de France ; mais pas en leur faveur. Le soir vers neuf heures et demi étant au café de l'Union nationale nous avons entendu à pleine voix le chant de la Marseillaise. Nous sommes sortis et nous avons vu une huitaine d'ouvriers qui chantaient et criaient. Ils paraissaient avoir un peu bu. Ils ont proféré quelques cris de Vive la République. Ils ont beaucoup chanté la parodie du chant d'espoir. Croix blanche, croix flétrie Il m'a paru qu'ils avaient l'intention de venir au café, ils s'en sont approchés, les plus hardis étaient déjà à la porte ; mais ils ne sont pas entrés. Le tapage a duré jusqu'à dix heures, il parait que la sortie des patrouilles a pour un instant dissipé les crieurs. Je suis rentré à dix heures et quart. J'ai été réveillé à minuit par un grand tapage dans ma rue, c'était les mêmes individus qui chantaient et criaient. Ils sont encore revenus quelques instants après, puis dès lors, on n'a plus rien entendu. Carret m'a dit qu'une soixantaine d'ouvriers avaient fait le complot d'aller chez Mr De Boigni pour le forcer à consacrer une somme de 600 000 fr en travaux, et de tirer au sort en cas de refus celui qui le tuerait. Fanfaronnade. Les ouvriers en général désapprouvent les démarches que l'on prétend faire en leur nom. Cependant l'article du Courrier des Alpes de samedi les a indignés. Raymond n'a point de tact. Il y a de bonnes choses dans cet article ; mais il ne fallait pas y semer des reproches, et des conseils de maître. On a dit que le coût d'électeur était fixé à 20 fr pour la Savoie. C'est bien. On arrivera à payer les députés. Palluel pourra le devenir. Il le désire. Ract ne me l'a pas caché. Il n'aura pas ma voix. Lundi 13 mars La nuit a été plus orageuse que je ne m'étais aperçu. Sur la place Saint Léger les ouvriers au nombre de 50 environ ont fait une espèce d'émeute en chantant et criant d'une manière désordonnée. Le nombre de curieux qu'ils ont attirés a augmenté leur audace et donnait une espèce de signification. On a fait sortir un escadron de cavalerie vers les onze heures, qui n'est rentré que vers les deux heures. Les soldats et les carabiniers ont été insultés et même poussés avec une audace incompréhensible. Un carabinier a même reçu un coup de couteau, la buffleterie de son sabre a paré le coup. Malgré cela les troupes ne se sont portées à aucun acte hostile. Le Gouverneur est descendu sur la place pour pérorer les émeutiers. Il a été payé de belles paroles quant à sa personne. On a arrêté trois individus, mais on les a relâchés ce matin. Aujourd'hui il n'est question que de cette affaire. Il y a grande frayeur dans la classe noble et bourgeoise parce qu'on craint le renouvellement des mêmes scènes et des collisions. La municipalité vient de faire afficher à quatre heures après-midi, un avis portant que des mesures ont été prises pour empêcher le désordre, et pour inviter les citoyens paisibles à se retirer chez eux, dans le cas où les troubles recommenceraient. Dans la journée tout a été calme, à la tombée de la nuit on a commencé à voir circuler des patrouilles de pompiers armées. On voit un assez grand nombre d'individus suspects la plupart en blouse ; mais ne faisant aucune démonstration. Je n'ai vu qu'une bande de quatre individus qui poussaient de temps à autre des cris aigus. Le Sénat s'est assemblé deux fois aujourd'hui pour délibérer sur cette affaire, qu'il a enfin évoquée, en nommant Mrs Maréchal et Ménabréaz pour instruire. Ces messieurs ont commencé ce soir l'instruction. Déjà un grand nombre de personnes ont été mandées. Louis Guillaud, les Dénariez, Silvoz, Bonjean et autres. Je doute que l'instruction produise un grand résultat. Ménabréaz n'est pas je crois l'homme qu'il fallait. Il fallait un homme froid et fin, et non un poète et un homme à idées préconçues. Les avocats qui ont accompagné les ouvriers à l'hôtel de ville sont gravement accusés par la voix publique. Lacoste est toujours le Dictateur de Chambéry. Il a encore été appelé ce matin auprès du Gouverneur, qui lui a fait diverses promesses au moyen de quoi il a répondu de la tranquillité publique. On n'ose pas l'accuser parce qu'on le craint.
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