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- Documents de Savoie - - 5 - Mardi 14 mars Tranquillité parfaite pendant la nuit. On avait encore mis des piquets de cavalerie en patrouille. L'instruction de la procédure ouverte par le Sénat continue. On voudrait arriver aux instigateurs des troubles. Il parait que l'on aurait même donné de l'argent, car il a du se faire une ribote chez des filles avant l'émeute, et les émeutiers paraissaient en effet un peu ivres. Le soir Jacquemont est venu se populariser au café de l'Union nationale. Il faut qu'il y ait quelque chose de nouveau et de peu favorable à l'aristocratie. Nous penchons peut-être vers la France. Quel singulier homme ? Il m'irrite les nerfs d'une façon toute particulière. Il met une prétention à vous énoncer des propositions que tout le monde connaît. Il se donne par ce moyen un air important. Mr d'Aviernoz nous a dit que l'on avait échangé quelques coups de fusil avec les Autrichiens sur les bords du Tésier. Je ne crois pas que ce soit sérieux. Je ne crois pas que l'Autriche commence la guerre. Je lui crois une politique infernale. Elle menace le Piémont pour forcer ce pays à armer d'une manière démesurée avec ses ressources et le ruiner. Nos hommes d'état donnent en plein dans cette ruse et ce par orgueil, comme si l'Italie seule pouvait en l'état résister à l'Autriche. Il y a encore dans le monde de bien grands enfants. Je lisais hier dans le Risorgimento que nous étions dans un état complet de perfection, en citant au nombre de nos perfections le rappel de tous nos contingents sous les armes. Joli état qui s'il dure un an en aura ruiné les finances et le pays. La politique italienne ressemble aux chants patriotiques italiens. Mercredi 15 mars On ne voit plus la moindre agitation. Il ne s'est rien passé de saillant. Le soir au café on a beaucoup parlé des élections pour les députés. Il n'a été faite aucune proposition qui réunit l'assentiment général. On a parlé de Mr Forêt ; mais on craint qu'il ne vendit sa voix contre un privilège de fabrication de papier. Ract pousse toujours Palluel, et il ne me parait pas éloigné de se présenter lui-même. S'il se fait une élection à Montmeillan il pourrait bien s'y porter candidat. Il aurait quelque chance. Il fait parade d'érudition en économie politique. On aura beaucoup de candidats à la députation si l'on accorde une indemnité aux députés. L'argent aujourd'hui balance l'honneur. Jeudi 16 mars Il a paru aujourd'hui dans les journaux de paris une circulaire de Ledru-Rollin aux commissaires envoyés par le gouvernement provisoire dans les départements. Cette circulaire donne à ces commissaires un pouvoir dictatorial en leur enjoignant de s'en servir pour arriver par tout moyen à maintenir le gouvernement républicain, en destituant les employés amovibles, et surveillant et suspendant les magistrats inamovibles qui ne seraient pas, ou n'auraient pas toujours été, républicains. Cette circulaire a paru à un grand nombre et je me permets de croire aux plus sensés, un renouvellement des proscriptions de la première révolution. On commence par ne vouloir que des républicains à l'Assemblée nationale, et puis ensuite on choisira entre ces républicains. Dieu fasse que ce choix soit fait par la masse de la nation, et non par une faction turbulente. Il y a peu de vrais républicains. Je n'en connais pas chez nous. Les républicains que je connais ne veulent la république que pour en être les dictateurs. Il y a plus de Monarchistes libéraux que de Républicains libéraux. Je l'ai vu hier au café dans une discussion sur la circulaire de Ledru-Rollin. Lacoste notre grand républicain y applaudissait avec une satisfaction où l'on voyait scintiller son idée intérieure. Vous ne voulez pas, vous opposants, notre gouvernement républicain et notre autorité, eh bien nous vous l'imposerons bon gré mal gré. Dieu nous garde de la liberté avec ces gens-là ! L'avocat Molin lui aussi défendait cette circulaire ; mais c'est en sa qualité d'optimiste. Aussi déraisonnait-il avec une facilité merveilleuse. La Magistrature de Chambéry est tremblante. Elle a raison, car je crois qu'elle ne serait guère épargnée si nous étions incorporés à la France. La moitié de nos magistrats sont arrivés par faveur. Une réaction serait pour eux une espèce de justice. Je suis loin cependant d'approuver ce bouleversement que l'on fait en France dans tous les emplois. Je regarde cela comme une faiblesse du pouvoir. Le changement entier du personnel peut le consolider quelque temps ; mais je crois que ce sera une des causes de sa perte, si elle arrive. Les ambitions excitées ne se croiront jamais satisfaites.
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