3 - BILLETS DE BANQUE - PAPER MONEY - FRANCE - La monnaie est au cur de la Révolution française, ce qu'on oublie parfois, et la folle histoire des assignats a laissé des traces profondes dans nos esprits, participant à la peur collective de la planche à billets. Il faut prendre conscience du caractère très particulier et absolument pas généralisable à nos économies actuelles de cette tragique histoire (la guillotine fut mise en branle aussi pour des raisons financières!) pour cesser d'avoir peur de la création monétaire.
1- Le contexte et le lancement des assignats Le motif de la convocation des états généraux est d'ordre financier. Le roi est au bord de la faillite. La moitié du budget royal est consacré à servir des rentes et à éponger des dettes (estimées 4 à 5 milliards de livres par l'historien François Crouzet, et soumise à un taux d'intérêt moyen évalué à 7,5% par an)
Il lui faut de nouvelles ressources, impôts et emprunts. La révolution de 1789 ne suffit évidemment pas à résoudre le problème. Le 10 octobre 1789, Talleyrand propose à la toute nouvelle assemblée nationale ce qu'on appellerait aujourd'hui une nationalisation des biens de l'église, évalués 2 à 3 milliards de livres de l'époque. Le 2 novembre 1789 l'Assemblée décide de mettre les biens du Clergé à la disposition de la Nation.
2- Une émission de billets croissant plus qu'exponentiellement Au printemps 1790, les 400 millions sont dépensés... et une émission complémentaire de 400 millions est faite. Puis une autre, puis une autre... Progressivement les pièces métalliques ne circulent plus (elles sont thésaurisées en France ou à l'étranger) et les assignats circulent de plus en plus vite. La spéculation contre l'assignat (qui fait la fortune de certains ) s'installe. Le système s'emballe : l'Etat doit émettre de plus en plus de billets pour faire face à ses besoins, accrus par les faibles rentrées fiscales et les exigences d'une économie de guerre (déclaration de guerre en 1792), mais aussi pour faire face à la demande de monnaie, nécessaire aux échanges.
Voici les émissions (selon les estimations de B.Daste) faites dans le temps, en millions de livres, sachant que le franc est réintroduit en 1795. Pour situer les ordres de grandeur la masse monétaire métallique est estimée à l'époque à environ 2 milliards de livres :
(1) Chute de Robespierre le 27 juillet
1796, c'est la fin des assignats, après une émission cumulée de 45 milliards. Une deuxième tentative d'émission monétaire (les mandats) est relancée et échoue début 1797 Une période de dépression économique s'installe alors du fait du manque de numéraire.
3- Les mesures prises pour soutenir l'assignat Consciente des difficultés, l'assemblée prit une série de mesures, dont certaines radicales, pour soutenir l'assignat :
Mais rien n'y fit...
4- La dépréciation irrésistible de l'assignat On voit dans le tableau ci-dessus que, dès 1791, l'émission de billets est proche de la valeur estimée des biens en garantie Instinctivement on en déduit que la valeur des assignats n'a pu que se déprécier par rapport à la monnaie métallique. Il semble que la dépréciation de l'assignat ait vraiment démarrée fin 1791, pour s'emballer irréversiblement. La valeur des assignats ne cessa de décroître comme le montre le tableau suivant (chiffres indicatifs, reconstitués à partir des différentes sources citées en bibliographie) accréditant dans les esprits l'idée qu'une émission monétaire est toujours inflationniste. On en redira deux mots dans quelques lignes.
Cette dépréciation de l'assignat s'accompagna nécessairement d'une hausse des prix exprimés en livre assignat. Mais pas de celle des prix exprimés en monnaie métallique. En fait cette histoire est essentiellement illustrative de la célèbre « loi de Gresham » : la bonne monnaie chasse la mauvaise. Durant ces 7 années il y eut deux types de monnaie en circulation et l'assignat inspirant moins confiance que la monnaie métallique, celle-ci fut conservée pour des motifs de sécurité, de spéculation et sans doute aussi pour des raisons politiques (les adversaires de la révolution furent sans doute conscients des conséquences économiques de la fuite des capitaux qu'ils réalisaient).
5- Les leçons de l'histoire La première leçon fut tirée en 1797 par l'abandon de ce type de monnaie, créée en quelque sorte impunément. Bonaparte redoubla de prudence quand il créa la banque de France en 1800 (qui ne devint l'institut d'émission avec monopole de fabrication de billets qu'en 1848) et créa le franc germinal qui fut un modèle historique de stabilité. La deuxième leçon fut plus inconsciente. La peur de la « planche à billets » s'installa dans les esprits. L'association « création de monnaie-planche à billets-inflation » s'imprima durablement dans les esprits. Il n'est pourtant pas possible de plaquer cette histoire (ni ses cousines , celles de Law et de Weimar, et des hyper-inflations de la deuxième partie du XX° siècle en Amérique du Sud et en Europe de l'Est) sur le cas d'une économie moderne. Les spécificités économiques de cette période peuvent être évoquées rapidement :
Il est donc plus qu'aventureux de généraliser ce qui se passa dans cette folle période et d'en déduire que toute création monétaire est inflationniste. Tout au plus peut-on en inférer l'hypothèse qu'en cas de circulation simultanée de deux monnaies, l'une suscitant la confiance du public et étant en outre reconnue hors des frontières, l'excès de création de la « moins bonne » conduit probablement à sa dépréciation...
Bibliographie Crouzet François, « La grande inflation », Fayard, Paris 1993.
Cet article est repris et publié sur le Site du Collectionneur avec l'aimable autorisation de Gabriel Galand webmaster du site chomage-et-monnaie. Si vous avez besoin de compléments d'informations n'hésitez pas à visiter le site www.chomage-et-monnaie.org
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