1 - NUMISMATIQUE - MONNAIES - COINS - Plombs à sceller savoyards -
Le sel était une denrée rare et précieuse sous l’Ancien Régime. Il était employé à de multiples usages : alimentation humaine mais également animale, salaisons, conservation des denrées, tanneries… On le récoltait principalement au bord de mer dans des marais salants. En montagne, on produisait du sel par extraction minière de sel gemme ou on le récupérait par évaporation de sources d’eaux salines. C’est ce dernier mode de production qui était utilisé à Moûtiers (Savoie), ville principale de la vallée de la Tarentaise où des canaux amenaient les eaux chargées de sel des sources de Salins, situées à 2 km, au vaste complexe industriel des Salines royales.Ces sources étaient connues et exploitées depuis l’Antiquité. Moûtiers (Savoie) - le site des Salines vers 1870 peu après sa fermeture En avril 1559, le duc de Savoie, Emmanuel-Philibert (1553-1580), recouvrant ses terres à la suite du traité de Cateau-Cambrésis entre la France et l’Espagne, avait fait voter par l’Assemblée des Trois Etats le monopole de la gabelle du sel, impôt indirect destiné à remplacer les aides, tailles et autres subsides habituels. Un dénombrement nominatif comprenant pour chaque paroisse le recensement des familles (ou "feux") avait été effectué en 1561 afin d’établir l’assiette de l’impôt sur le sel, vendu par les greniers ducaux se trouvant à Bonneville et Sallanches pour le Faucigny. La gabelle était une source de revenus essentielle pour la couronne. Désireux de relancer la production de sel à Moûtiers, le duc Emmanuel-Philibert avait fait rechercher les sources salines plusieurs années après un glissement de terrain qui les avait enfouies à plusieurs mètres de profondeur. Les eaux dirigées vers Moûtiers faisaient l’objet d’un processus d’évaporation naturelle dans des "bassins de graduation" ou d’une "cuite" dans une trentaine de "chaudières à sel" qui permettaient de récupérer le sel après évaporation. Par la suite, grâce à l’apparition d’un procédé ingénieux consistant à faire ruisseler l’eau salée sur des kilomètres de cordages, les rendements avaient pu être considérablement augmentés. Il suffisait de racler les cordes chargées de sel après cristallisation pour en récupérer d’importantes quantités. Ce procédé était beaucoup plus économique que la "cuite" qui nécessitait d’énormes quantités de bois. Plomb à tunnel des Salines royales de Moûtiers Afin d’éviter vols et malversations, les plombs à sceller étaient couramment utilisés pour le transport de nombreuses denrées intéressant en particulier les services de la douane et du trésor notamment le tabac, les soieries ou encore le sel. Ces plombs ont une valeur historique certaine car ils témoignent d’activités souvent disparues. Ils s’apparentent à plusieurs égards à la numismatique. Comme pour les monnaies, ils étaient frappés à l’aide de coins gravés et utilisaient fréquemment les symboles de l’autorité de tutelle. La "traite" du sel était étroitement contrôlée par les pouvoirs publics notamment pour la perception de la gabelle. Des comptes précis des entrées et sorties des dépôts de grenier à sel étaient tenus(1). Lors de son transport dans des "voitures à sel", le sel de Tarentaise était chargé dans des balles qui étaient probablement scellées par des plombs afin d’éviter que des soustractions ne soient commises entre le point de départ et d’arrivée de la précieuse marchandise, dépôt ou grenier. De nombreuses fraudes ou malversations sont signalées dans les documents d’archives. Le plomb à sceller présenté affiche d’un côté le nom de l’établissement producteur avec la mention qui semble être Armes des Salines royales de Moutiers. Il arbore sur l’autre face un écu de Savoie fleuronné en chef auquel est appendue de part et d’autre une guirlande de cinq clochettes (ou vairs) en pal. Il s’agit d’un plomb apposé au départ des Salines, première étape du transport du sel. Ces plombs sont très rares. En France, selon les instructions de la ferme, après que les sacs aient été vidés, les débitants "étaient tenus de mettre à part les plombs qu’ils enlèveront" pour les "remettre en compte, entre les mains du receveur des greniers" sous peine d’amende. Seuls deux ou trois exemplaires de plombs de lieux de production auraient été recensés à ce jour(2). La datation du plomb savoyard est délicate. L’adjectif "royales" n’est pas d’un grand secours. En effet, les ducs de Savoie ont utilisé successivement le titre de roi de Chypre à partir du règne de Victor-Amédée 1er (1630-1637), celui de roi de Sicile en 1713 puis de roi de Sardaigne en 1720. Le plomb peut ainsi être situé entre 1630 et 1860. La forme particulière de l’écu de Savoie au sommet évasé et aux pointes supérieures coupées s’observe sur certaines monnaies de Charles-Emmanuel II (pièce de 5 soldi, 1648, MIR 762b, Cud. 872) et renverrait a priori à une production du XVIIème siècle mais rien n’est certain. Charles-Emmanuel II : 5 soldi 1647 En 1765, la production annuelle des Salines royales de Moûtiers atteignait les 1.000 tonnes. Le sel de Moûtiers approvisionnait la Savoie et était exporté vers la Suisse(3). Au XIXème siècle, les Salines employaient jusqu’à 120 personnes. Concurrencées par les Salines du Midi après la réunion de la Savoie à la France en 1860, les Salines royales de Moûtiers perdirent leur monopole. Elles périclitèrent et cessèrent leur activité en 1866. Il ne reste aujourd’hui sur place que quelques piliers au sommet desquels circulait l’eau à filtrer, rares témoignages subsistants de cette activité séculaire de la ville avec le plomb présenté. Yves BRUGIÈRE -------------------------------------------------------------------------------------------------- (1)Chambre des comptes de Savoie. Archives camérales. SA 1585-2923 (Inventaires turinois 137-149). 1560-1783. Dénombrements des feux, gabelles et salines. IR. 142 - Comptes des entrées et sorties des sels des magasins de Savoie, 1560-1689 - SA 2276-2354 (inventaire turinois n° 26). Consulté sur francearchives.fr le 21/05/2021. (2)M. JEZEQUEL, Les plombs pour sceller au XVIIIe siècle – 3 – les plombs de sel, Cahier d’histoire des Douanes Françaises n° 38, 2008, consulté le 21/05/2021 sur histoiredeladouane.org (3)La production de sel en Savoie ne couvrant qu’un cinquième des besoins du duché, des achats massifs de sel français étaient effectués. Le sel savoyard vendu aux Suisses l’était pour des raisons politiques. BLANCHARD, p. 1084. -------------------------------------------------------------------------------------------------- Sources
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